Sur les traces du "Pourquoi-Pas?"
article de Jean-Yves Blot, magazine "Cols Bleus n° 1847, mai 1985
de Rockall au Straumfjördur...
Le 29 juin 1921, deux marins du trois-mâts-barque Pourquoi-Pas? mettaient le pied sur un rocher isolé à quelques centaines de milles au nord-ouest de l'Irlande: Rockall. Ce rocher constituait alors, depuis plus de vingt ans, une énigme pour la science. Le navire océnaographique de Jean-Baptiste Charcot avait appareillé de St.-Malo dix jours plus tôt pour tenter de trouver la clef de l'énigme. La mission avait été préparée au ministère de la Marine et tenue confidentielle en raison des difficultés pratiques qui entouraient l'opération.
Le"Pourquoi-Pas?" dans l'ecluse de St-Malo. 25 juillet 1908

L'affaire "Rockall" avait commencé au siècle précédent: deux bâtiments de la marine de guerre britannique, l'Endymion puis la Porcupine, parvinrent , à des années d'intervalle, à faire débarquer sur ce rocher abrupt constamment balayé par les embruns plusieurs de leurs hommes; ceux-ci rapportèrent, à titre de curiosité, quelques fragments arrchés au rocher.

Des années passèrent...

Un jour, le savant britannique Judd examina les échantillons et, à sa stupeur, constata que la roche ne ressemblait à aucune autre connue en géologie. Judd adressa à son collègue américain Washington la moitié d'un des précieux échantillons, dix-sept grammes exactement. L?Americain confirma la conclusion de son collègue britannique: la roche était unique au monde. On lui donna le nom de rockallite.

Par la suite, Alfred Lacroix, un professeur du Museum d'Histoire naturelle de Paris analysa lui-même un fragment de cet étrange rocher perdu au milieu de l'Atlantique Nord et constata, comme ses prédécesseurs, qu'il n'en n'avait jamais observé de semblable. Deux expéditions britanniques, parties rejoindre le rocher à la fin du XIXe siècle, échouèrent du fait des conditions de mer. Le mystère s'épaissit encore quand le professeur Alfred Lacroix, en 1915, découvrit finalement une roche très semblable à la rockellite mais non identique, de l'autre côté du globe, à Madagascar. La roche-soeur de la rockellite reçut le nom de fasibilikite. Entre-temps, Rockall avait provoqué la mort de huit cent personnes lors du naufrage du paquebot norvégien Norge qui avait heurté le rocher à pleine vitesse, par temps bouché, le 31 juillet 1904. A plusieurs centaines de kilomètres des côtes les plus proches, les naufragés n'avaient eu aucune chance de survie.

Jean-Baptiste Charcot, dans plusieurs articles passionnés, araconté les péripéties de la mission du Pourquoi-Pas? de l'été 1921 qui allait, servie par la chance, mettre fin à l'énigme de Rockall et régler son compte à la rockallite: on s'aperçut, en effet cette fois-là, que la rockallite n'était qu'une veine dans la masse granitique du rocher. Charcot avait résumé les résultats de la mission par une boutade : "la rockallite est le grain de beauté de Rockall". (1)

Quinze ans plus tard, au retour d'une autre mission, au Groenland cette fois, le Pourquoi-Pas? était drossé sur les rochers de la côte Sud-Ouest d'Islande lors d'une tempête restée depuis dans la mémoire des habitants de l'île.Le naufrage coûta quarante morts. Parmi les victimes se trouvait Jean-Baptiste Charcot, docteur en médecine, pionnier des explorations antarctiques françaises et de la recherche océanographique.Un scaphandrier islandais, dépêché sur les lieux de l'accident, put, par moins de quinze mètres de fond, reconnaître les vestiges du navire et dresser un plan de l'épave. Charcot et ses hommes eurent des obsèques nationales. L'Islande, dans le deuil, enrichit sa légende.

L'endroit précis du naufrage fut oublié jusqu'au jour de 1961 où la presse annonça qu'un plongeur de Reykjavik venait de retrouver l'épave du Pourquoi-Pas?.

La nouvelle entraîna une protestation qui vint du fond du Finistère: "On n'a rien retrouvé du tout pour la bonne raison que j'ai toujours su où le Pourquoi-Pas? s'était perdu". Celui qui parlait ainsi était le maître timonier Eugène Gonidec, unique rescapé de l'accident qui avait fait quarante victimes au petit matin du 16 septembre 1936. Gonidec, au bord de l'évanouissement, avait eu la chance d'être recueilli par un paysan d'une ferme isolée sur la côte du Staumfjördur, près du lieu du naufrage.

Le 13 juin 1984, un voilier mixte aux allures de bâtiment de pêche reconverti, la Galatée, quittait St.-Malo à destination de l'Islande. Il emportait une plaque d'acier de dix-neuf kilos remise quelques jours plus tôt par le président duYacht Club de France. Charcot avait été président de ce club pendant vingt ans, jusqu'à sa mort. La plaque était gravée à sa mémoire. L'équipage de la Galatée avait pour mission de la placer sur Rockall si l'état de la mer permettait d'approcher le rocher.

Avec la complicité d'un anticyclone bien placé et le complément de chance que l'opération supposait, la Galatée put faire débarquer l'un de ses équipiers sur Rockall, au tout début de juillet. La plaque du Yacht Club fut hissée et scellée près du sommet. Sauf cataclysme; elle s'y trouve encore et peut être aperçue par les bâtiment qui approchent de la roche par le Sud-Est. Une autre, beaucoup plus petite, en bronze que l'air marin a verdie, rappelle aux oiseaux qui blanchissent le sommet du rocher la souveraineté britannique qui règne en ces lieux. En dépit de ces signes gravés par l'entêtement des hommes, Rockall n'a, en définitive, guère changé et, dans sa nudité de granit, le rocher mieux que d'autres lieux rappelait à ceux de la Galatée l'épopée du Pourquoi-Pas?

Rockall, depuis la mission de Charcot en 1921, avait changé. Les instructions nautiques y signalent une balise lumineuses, souvent en panne, à vingt mètres au dessus de l'eau. Etant donné la situation strtégique des eaux entourant le rocher qui intéressent autant militaires que pêcheurs et pétroliers, la Grande-Bretagne a prit possession de ce territoire de quelques dizaines de kilomètres carré en 1955.

En Islande, en revanche, à cinq cent milles de là, les parages du Straumfjördur restent muets. Les témoins qui pensaient connaître l'emplacement de l'épave s'étaient trompés. A force de se répéter, la tradition s'était embrouillée. Andri Heidberg, le plongeur qui avait retrouvé l'épave en 1961, était mort sans laisser de piste précise. Seul un rocher, Hnokki, où la quille du Pourquoi-Pas? avait talonné et pivoté, fournissait un repère sûr à un mille de la côte. Il fallut chercher.

Le 14 juillet 1984 à un demi-mille du point de départ des recherches, hélice bipale, chambre des machines, chaudière, étaient en place, alignés comme sur un plan d'architecte.

Seul un fragment de la cloche du Pourquoi-Pas? été retrouvée après le naufrage

Au musée national de Reykjavik, quelques débrits de bronze, une bouteille de vin et son bouchon couronné d'une algue, portant sur son flan le sceau d'une brasserie de Rennes, un indicateur de barre bloqué par le concrétions calcaires en position "droite toute", une plaque de bronze du sondeur (conçu dans les années 1920 par le capitaine au long cours Warluzel), des balles de fusil de guerre, une poignée d'épée de cérémonie d'officier de marine, scellent désormais en images la légende que depuis longtemps l'Islande à fait sienne -celle d'un grand voilier français de recherche polaire perdu avec son équipage breton, son chef et la poignée de scientifiques qui les accompagnait, sur la côte froide et grise du Straumfjördur.

(1) Marthe Oublié: "Jean Charcot" . Paris 1937

Bibliographie:

Marthe Emmanuel: "Tel fut Charcot". Paris. Beauchesne 1967

J.B. Charcot: "Les croisières du Pourquoi-Pas? en 1921", in: "La Géographie". T.XXXVII, Mai 1922, pp473-492

La fin du Pourquoi-Pas?

tiré du Morgunbladid, réf. duGuide de l'Islande, éditions La Manufacture

Quelques années après le drame, le Morgunbladid, journal de Reykjavik, recueilli le témoignage de Kristjan Thorolfsson. Agé alors de dix-huit ans, il travaillait à la ferme de Straumfjördur et sauva Gonidec, le seul rescapé du naufrage du Pourquoi-Pas?

"La passerelle s'en allait à la dérive, vers la terre, avec ces hommes, mais ils s'épuisèrent en route et glissèrent dans l'eau, tous sauf un. Ce dernier disparu quand la passerelle fut très près de Höllubjarg. Je suis persuadé que Gonidec restait le seul en vie quand je l'aperçu pour la première fois. [...] Pourtant, il était conscient quand il esrt arrivé à proximité de Höllubjarg, car il a lâché la passerelle en me voyant sur le rocher et il s'est laissé porté par le flot, seulement soutenu par la ceinture de sauvetage, jusque dans une crique rocheuse qui s'appelle Hölluvor, et se trouve au Nord-Ouest du rocher. S'il avait atterri dix mètre plus à l'Est, il se serait assomé sur les récifs."

Le Commandant Charcot, lors du naufrage, eut la présence d'esprit de libérer de sa cage la mouette apprivoisée, mascotte du Pourquoi-Pas?

Rapport des circonstances de l'accident retour